Dossier sur la saison 11

(Voici un article paru dans le magazine «Generiques » n°14, du mois d’avril, à l’occasion de la sortie de la saison 11 en DVD, le 23 avril 2008.)

Après quelques saisons en légère hypoglycémie, la série retrouve des couleurs grâce à une galerie de personnages stabilisée et plus aguerrie, complétée par de nouveaux seconds rôles convaincants.

Encore du mouvement chez les pensionnaires du Cook County, puisque quatre nouveaux arrivants font leur apparition. D’abord Ray Barnett, jeune interne decontracté au look grunge, auquel seront vite reprochés sa passion envahissante pour la musique et son dilettantisme. La bonne idée des scénaristes : en faire le colocataire improbable de la toujours rigide Neela Rasgotra, gentiment virée de chez Abby.
Leland Orser, sorte de Dustin Hoffman frisé, endosse lui la blouse du docteur Dubenko, chirurgien atypique et sûr de lui (une constante dans Urgences), qui poursuivra un temps Abby de ses assiduités.
Enfin, Sara Gilbert (oui, la fille de Roseanne) campe Jane, étudiante fouineuse et un peu bizarre, et Eion Bailey interprète Jake, un bel interne qui ne fara qu’abaisser ponctuellement les défenses de mademoiselle « cœur verrouillé ».
Côtés départs, c’est presque en catimini que Corday quitte pour de bon les urgences. Par contraste, la sortie de Carter, il est vrai dernier pilier de la série, couve tout au long de la saison pour se cristalliser dans un épisode parisien et culminer dans une dernière garde et un flashback nostalgique avec les docteur Greene, Benton et Ross.

Feux de détresses
Cette saison 11 égrène encore avec justesse quelques cas douloureux et conforte Urgences comme le drama médical qui sait ne pas gommer les nuances et les aspérités des tragédies personnelles. La série creuse les plaies, pour finir par démêler les pires souffrances : celle de cette mère hallucinée qui jette ses enfants par la fenêtre ou de cette fratrie qui engage un père d’opérette pour pouvoir continuer à vivre auprès du cadavre de leur mère.
Quelques guests de marque viennent par ailleurs assurer leur morceau de bravoure : Danny Glover en père absent, Ray Liotta en épave alcoolique passée à côté de son fils ou Cynthia Nixon (la Miranda de Sex and the City) en mère de famille paralysée par une attaque cérébrale.
Ces visites sont l’occasion d’expérimentations narratives (hallucinations, monologue intérieur) comme Urgences en est friande, lesquelles ne s’avèrent néammoins pas toujours en phase avec le ton égal et réaliste de la série. Mentionnons aussi la participation, en vieille dame précarisée, de Louise Fletcher, l’inoubliable Miss Ratched de Vol au-dessus d’un nid de coucou.

Existentialisme
Constamment sous la pression de problèmes de financement et de rentabilité, l’équipe du County préfère s’investir dans l’amélioration de sa morale quotidienne : jusqu’où faut-il s’impliquer pour soigner la détresse ou comment gère-t-on le deuil des familles ? Elle continue aussi d’explorer, à travers la psychologie de ses personnages, les doutes professionnels : la question de l’ambition personnelle (Susan, Morris), de la vocation (Neela) et du poids du sacerdoce de la médecine, qui grignote la vie privée et aboutit à une grande instabilité sentimentale, pour Abby bien sûr, mais auss pour Carter et la psychologue Wendall, et pour le couple Sam-Luka, qui a décidé de s’installer ensemble.

La série continue à palpiter de concert avec son époque en abordant frontalement les questions éthiques inhérentes à la médecine comme la transplantation (entre les malades du sida, notamment), l’euthanasie (avec le père de Chen), mais aussi d’ordre plus général tel que le conflit entre foi et homosexualité (retrouvailles de Weaver et sa mère) ou le jeu trouble des laboratoires pharmaceutiques.
Ouverte sur le reste du monde (le conflit irakien, l’expulsion d’un immigré salvadorien) comme peu d’autre shows américains, Urgences reste avant tout une série existentialiste, ancrée dans le social.